Mardi 28 août 2018, monsieur Ahanda est invité au défilé funèbre dans la morgue de la garnison militaire de Yaoundé pour l’identification du corps de son fils, abattu à Manfé, au front de la guerre contre les séparatistes anglophones. Devant lui, gît le corps d’un jeune: c’est son fils Stéphane Ahanda . Les multiples bandages montrent qu’il a pris des plombs dans l’abdomen. Physique frêle, âgé de 23 ans seulement, le jeune gendarme que vous voyez sur la photo ci-contre, a été abattu à bout portant. Les pleurs de Stéphanie, sa fille de 4 ans, raisonnent à l’extérieur et remettent la douleur dans les cœurs de la famille noyée dans le chagrin du gâchis d’une vie à fleur jeunesse.
C’est le 15 août 2018, jour de la fête de l’Assomption, que le jeune gendarme a appelé sa famille pour la dernière fois pour annoncer que sa vie devenue l’enfer et allait exploser en plein vol. Avec un filet de voix exprimant la peur, les affres de la souffrance jusqu’au fond de ses entrailles, il confessait à sa grande soeur: ? Nous n’avons plus reçu de ration alimentaire depuis quatre jours, et je n’ai plus rien mangé ?. Surtout, il était meurtri d’avoir vu son meilleur ami abattu devant lui et était convaincu que son tour n’allait pas tarder, faute d’avoir un équipement minimal pour sa sécurité : ? Nous n’avons plus de munitions, et nous sommes obligés de nous cacher pour fuir les Ambazoniens. Il n’y a pas suffisamment de gilets pare-balles. Nous les jeunes qui arpentons le terrain, n’en avons pas ?.
Deux jours plus tard, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montre une attaque des séparatistes anglophones contre quelques gendarmes ayant dressé une barrière de contrôle à Mamfé . Un élément des forces de sécurité s’écroule: c’est Serges Ahanda. Non seulement le camion qui sert d’ambulance arrive tard, n’est équipé d’aucun dispositif pour les secours élémentaires, mais à l’hôpital de Mamfé, point de soin, ni de plateau technique approprié. Il faut l’évacuer à Douala ou Yaoundé, mais l’État camerounais n’a pas d’argent à dépenser pour des soldats subalternes qui ne servent que de chair à canon. Aucun responsable ne prend la peine d’informer la famille que Stéphane est dans une situation critique ou pour annoncer son décès. C’est grâce à son collègue que la famille a été mis au courant de la tragédie.
Le 23 août 2018, Hassana Alioum de la 53 ème Infanterie motorisée , âgé également de 23 ans, est criblé de balles à Wum, toujours dans la région du Nord ouest. Un jour avant cela , 8 membres des forces de défense avaient aussi péri, sans casque, ni pare-balles.
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Cloîtrés dans leurs bureaux climatisés, embourgeoisés par des primes détournées, les officiers supérieurs de l’armée camerounaise , quand ils ne laissent pas des jeunes gendarmes et militaires affamés, leur offre de la nourriture de cochon et les envoient se sacrifier au front d’une guérilla implacable où l’ennemi est tapi dans l’ombre et surgit pour tirer à foison sur des cibles en uniforme sans casques, sans gilets pare-balles, sans munition.
Après son baccalauréat et ses études à l’université de Soa, Stéphane Ahanda a dû se résoudre à aller postuler avec le niveau CEPE ou BEPC dans le seul corps de métier où l’État camerounais recrute les fils de ceux qui ne sont pas les dignitaires du régime: la chair à canon. En trois ans, il a été affecté sur les fronts des grands dangers: RCA, Boko Haram, guerre au Nord-ouest. Et toutes ces missions impossibles pour 100 000 FCFA (environ 150 euros par mois). Comme prime de décès, l’État camerounais propose de verser aux familles des victimes de la guerre 1, 2 million de FCFA, exactement la même somme qu’on proposait aux familles des victimes de l’accident de train d’Eseka. C’est dire qu’au Cameroun, un soldat mort pour sa patrie est un équivalent à un mort par accident. Aucune autopsie, ni même un certificat du genre de mort ne sont délivrés. Il est même interdit aux familles de filmer les corps ou de publier les photos sur les réseaux sociaux. En fait, c’est une dissimulation de preuves pour ne jamais revendiquer l’indemnisation à l’État.
Hasana Alioum, né le 17 juillet 1995, est tué un an seulement après son intégration dans l’armée en 2017. Serge Ahanda, né le 21 février 1995, est tué quatre mois après avoir été affecté au front du Nord-Ouest pour des alibis de guerre patriotique. Deux vies sacrifiées à 23 ans. Pendant ce temps, Junior Paul Biya, 23 ans, né le 22 juin 1995, a eu le concours de l’ENAM sans jamais avoir obtenu un diplôme universitaire, et n’ira jamais mourir en guerre tout comme les fils des ministres et dignitaires du régime. D’ailleurs, puisque les soldats meurent tous les jours dans la guerre contre les anglophones, Paul Biya vient de lancer le 27 août 2018, le recrutement de 2600 commandos prêts à aller mourir pour 30 000 FCFA par mois. Les candidatures de chairs à canon affluent déjà. Comme le disait Oscar Wilde: ? les tragédies des autres sont d’une banalité désespérante ?.